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Quand les églantiers s’enracinent dans la mousse de polystyrène

Île aux Lièvres
Carnet de bord 06

Mis en ligne le 7 août 2024

Écrit par Camille Deslauriers, Anne-Marie Asselin et Viridiana Jimenez-Moratalla

L’équipage de l’Expédition Bleue, plus intersectoriel que jamais, repart à l’aventure. Pendant 18 jours, l’élégant voilier Vanamo traversera le parc marin Saguenay–Saint-Laurent. Il s’arrêtera dans quatre régions terrestres du Québec pour documenter la pollution plastique à plusieurs échelles.

 

Suivez pendant 18 jours les réflexions, microrécits et cartes postales laissés dans nos sillages.


Bienvenue à bord !

Quand les églantiers s’enracinent dans la mousse de polystyrène

Dépotoir

nom masculin

 

  1. Endroit où sont accumulées des choses hétéroclites et généralement malpropres, où l’on jette les objets de rebut, les déchets en dehors de toute règle particulière.

 

Larousse.fr

Au milieu du Saint-Laurent, près de Rivière-du-Loup, il existe une grande île presque sauvage : l’île aux lièvres. Jacques Cartier s’y serait arrêté en 1536. C’est lui qui l’aurait baptisée en l’honneur des lièvres devenus civets pour nourrir l’équipage.

 

L’île, vue d’un drone ou regardée sur une carte, ressemble à un esturgeon. Cent fois, avant d’y mettre le pied, à voix haute, on prononce le nom de ses sentiers et on a imaginé l’escale. Sentier de la mer du Nord, Sentier de la mer du Sud. Sentiers de la Corniche, du Jardin, de l’Anse double. Sentier de la Chouette, du Campagnol, du Bonhomme-Bouchard. Anse du Noyé dont on redoute de rencontrer le fantôme. On va pouvoir y observer des bélugas, des phoques, des eiders à duvet – un oiseau qui nous fascine particulièrement parce que les femelles de l’espèce auraient, si on en croit les dires, inspiré la création des CPE. En juin et en juillet, le long des berges de l’île, des trentaines d’oisillons se dandinent en crèches. On imagine les mignonnes chorégraphies indisciplinées qui oscillent sous l’œil attentif d’une ou deux tantes, des canes qui seraient des femelles non nicheuses. 

On veut en savoir plus. On navigue sur Internet. Quelques clics et on lit que les mamans de cette espèce « ne mangent pas pendant plus de trois semaines au cours de l’incubation », qu’elles « défend[ent] [l]es canetons contre des prédateurs aviaires comme le Goéland argenté », en « émet[tant] un clouck-clouck-clouck brusque » pour alerter les meutes des potentiels dangers¹. Elles protègent leurs œufs du froid avec le duvet qu’elles arrachent de leur propre corps. On est admiratives : elles ont inventé les édredons !

 

Des canes qui se déplument au sens littéral, des femmes monoparentales qui se privent pour nourrir leurs enfants.

Le parallèle nous trouble.

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Du reste, on apprend que le duvet des eiders s’avère particulièrement recherché : sacs de couchage, oreillers, vêtements chauds en seraient bourrés. Heureusement, les plumes sont récoltées à la main, dans les nids, en tout respect des aires de protection et du calendrier de nidification. On s’assure ainsi que l’espèce se reproduise dans des havres de tranquillité, loin des prédateurs ou, pire, des chasseurs.

 

Puis, on aborde enfin l’île.

 

Pendant la présentation de Jean-François Giroux, biologiste et membre du conseil d’administration de la Société Duvetnor, on nous avise que des déchets plastiques, ici, on en trouve jusque dans les nids des oiseaux, à travers les brindilles et les plumes. On a même déjà trouvé un briquet. Certains canards confondent aussi des résidus d’emballages plastiques et des algues.

 

On commence le nettoyage des berges. On s’aperçoit que les détritus sont plus rares sur la plage à proximité des sentiers : manifestement, la sensibilisation à la pollution plastique donne des résultats. On postule que les touristes et les campeurs prêtent davantage attention à l’environnement, laissent de moins en moins de traces de leur passage dans la nature et contribuent activement à nettoyer les berges à proximité des sentiers. Mais plus on s’éloigne sur la berge, plus on accède au côté sauvage de l’île. Et l’accumulation de déchets y est manifeste. Comme si, à toutes les saisons, depuis des dizaines d’années, les macroplastiques s’accumulaient là, parce que personne n’avait ramassé avant nous. On dirait un “dépotoir sauvage”.

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Dans les talus, on découvre des strates et des strates de plastique enchevêtré dans l’humus et les végétaux. Le boisé a l’air d’un gigantesque millefeuille et on trouve ça désolant. Comme si c’était une caricature de pâtisserie Vachon observée dans la lentille grossissante de notre culpabilité collective. En couches sédimentaires s’étalent un rectangle de terre, de la cellulose, du polyester, de la poussière et de l’humus. Une couche de sable, une couche de plastique devenu extra-friable.

 

Dans la ligne des glaces d’hiver, on distingue des contenants de plastique blancs, bleus, bruns, noirs; des canettes décolorées, bière ou boisson gazeuse; une multitude de bouteilles d’eau vides – et même un litre d’huile Crisco vintage. On le déterre. Sur le fond de la bouteille, on peut encore déchiffrer le nom de la compagnie, « Procter and Gamble ». Daté de 1964. Comme quoi nos ordures persistent pendant des décennies dans les écosystèmes.

«

En couches sédimentaires s’étalent un rectangle de terre, de la cellulose, du polyester, de la poussière et de l’humus. Une couche de sable, une couche de plastique devenu extra-friable.

»

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On s’étonne de la résilience des églantiers. On prend une photo. L’antithèse nous frappe. On se demande comment une plante aussi délicate a réussi à s’enraciner à travers la structure alvéolaire des billes de polystyrène si dures comme dans du terreau. 

 

On s’indigne. Une vraie dystopie. Sur une montagne de styromousse fleurit le dernier rosier sauvage du monde.

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