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Gyres, tourbillons et zones impossibles

Le Vanamo
Carnet de bord 05 - Partie 2

Mis en ligne le 4 août 2024

Recueil de fragments co-écrit par Camille Deslauriers et Rose Gagnon-Yelle

L’équipage de l’Expédition Bleue, plus intersectoriel que jamais, repart à l’aventure. Pendant 18 jours, l’élégant voilier Vanamo traversera le parc marin Saguenay–Saint-Laurent. Il s’arrêtera dans quatre régions terrestres du Québec pour documenter la pollution plastique à plusieurs échelles.

 

Suivez pendant 18 jours les réflexions, microrécits et cartes postales laissés dans nos sillages.

Bienvenue à bord!

Gyres, tourbillons et zones impossibles - Partie 2

Gyre: Un gyre océanique (gyre : du grec « rotation ») est un gigantesque tourbillon d'eau océanique formé d'un ensemble de courants marins. Ces vortex sont provoqués par la force de Coriolis.

Vivre en groupe pendant dix-huit jours avec une dizaine d’autres personnes se révèle intense. On a parfois l’impression d’être happée par les bruits comme si on était au centre d’un gyre. Le « do dièse » des moteurs du bateau qu’on démarre ou qu’on arrête, les ordres du capitaine quand on va hisser les voiles, le claquement du tue-mouches sur les murs parce qu’une collègue bienveillante part à la chasse aux insectes, le grésillement du radio-émetteur dans lequel on rêve de déclamer un poème avant la fin de l’Expédition Bleue, le grondement de la pompe quand quelqu’un prend de l’eau, les rires, les deux ou trois conversations animées qui se tiennent en parallèle lors des repas : au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, du matin au soir et du soir au matin, on est sur-sollicitées et habiter le Vanamo avec cette communauté si attachante nous grise.

 

Pour écrire, on s’isole comme on peut. On entre dans sa bulle en mettant ses écouteurs, on se concentre sur sa trame sonore - pour l’occasion, on a choisi Light Past the Undercurrents de notre collègue Dani Lewick -, on se dit : allez, on plonge. Mais bientôt, on est encore distraite. On ouvre la « caverne d’Ali-Baba », cette armoire où se cachent collations et objets perdus, dans le voilier, on s’émerveille devant l’arc-en-ciel des jujubes dans le bocal à couvercle rouge, on se sent aussi gourmande que quarante voleurs, on ne résiste pas longtemps, on choisit un bonbon les yeux fermés, on tombe sur un long ver orange strié de rouge. C’est gélatineux et c’est collant – presque aussi collant que la pulpe jaune et juteuse des mangues ou la chair sucrée des ananas dont on s’est délectée tantôt, au déjeuner.

 

On admire les fruits dans les filets suspendus au pont arrière. On dérive en observant les pommes, les pêches, les melons, les clémentines, on pense aux conditions de vie à bord, jadis, à l’importance de la vitamine C, aux ravages du scorbut, on se demande quels étaient les symptômes, on navigue sur Internet, on clique sur des définitions, hémorragies, déchaussement des dents, purulence des gencives, on s’interdit de regarder les photos, vite, on ferme les fenêtres pour ne pas devenir anxieuse.

 

La curiosité, c’est un tourbillon malsain quand on a trop d’imagination.

 

Visiblement, on cherche la force de Coriolis de son texte.

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On relit les notes qu’on a prises, la veille, pendant le cours d’initiation à la voile. On est éblouie. On a toujours aimé les mots : maman racontait à qui voulait l’entendre qu’avant dix-huit mois on faisait déjà des phrases. On se laisse emporter par le lexique du « Brevet d’introduction à la voile sur quillard ». Dériveur, grand-voile, empanner, faseyer, penons, partance, amure, écoute.

 

On s’aperçoit qu’on n’a presque rien retenu de la leçon et qu’on navigue dans la zone impossible de son récit, mais cette flopée de nouveaux mots nous réjouit.

 

Parés, pas parés, drisse, haubans, mousqueton, vit-de-mulet, les termes tournent et tourbillonnent, on s’étourdit, on perd le fil et on a un fragment qui ne racontera rien – mais qui tentera de traduire le maelström de sensations, d’émotions, de questions, d’hypothèses, de découvertes, de constats liés à cette incroyable mission à laquelle on se trouve privilégiée de participer.

 

Écrire, c’est aussi accepter que certaines idées ne mûrissent jamais et que d’autres fermentent, comme le font parfois les fruits dans les filets du Vanamo au soleil.

Camille Deslauriers

On doit traverser la zone impossible 

c’est le chemin le plus simple

perdre un instant le contrôle

ralentir

 

embraquer l’écoute

déborder la voile

 

Rose Gagnon-Yelle

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